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8 juillet 2009 3 08 /07 /juillet /2009 11:53

Un mur, qu'il soit en béton, en papier, en bois, en tissu, en pierre de taille, en lauriers roses, en chair, en os ou en ratons laveurs, sait-on ce qu’est un mur ?

Par exemple, un mur de béton.

La connotation technique, chantiers, bottes, boues, camions, gravats, poussière, saleté, risque de rebuter.  On aura peur de se salir. Ca manque de poésie.

Un mur de troènes du Japon serait plus joli. Ses fleurs parfumées font rêver.

Mais on comprendrait mal mon propos. Restons sur le béton.

Il ne faut pas croire que le béton n’est qu’un vulgaire mélange de ciment, de cailloux et d'eau.

Je sais bien que pour la plupart des gens, quand on a dit béton, on a tout dit. On dit le béton ! ben, heu, heu, ben c’est du béton. Et pis voilà. Point. C’est concret, c’est facile.

D’ailleurs, il n'y a rien de plus concret. Inutile de faire des phrases, on serait hors sujet. Le béton, c'est tout le contraire d’une phrase, il n’y a rien à comprendre, il n’y a rien de conceptuel, de flou, de nébuleux, d'approximatif dans ce truc-là. C’est l'idéal absolu du super certain, du sûr de sûr, du plus solide que moi tu meurs. C'est de la matière absolue, la matière qui ne  contient que de la matière. On peut s'appuyer dessus, on se sent à l'abri, on ne risque rien. On voit de quoi il s'agit.

Et bien, non ! Le béton, c'est autre chose.

Pour l’expliquer, j’imagine qu’il faut y poser son front, et attendre, ça peut-être long, que les idées préconçues se distendent et que l’esprit ramollisse. Il faut de la patience et de la modestie. Ce genre de concept ne vient jamais sans modestie.

Pour s'aider, on peut tenter d'extrapoler le béton à ses composants, l'eau, le ciment et la roche qui s’y trouvent, non qui s’y cachent : l’expression est la bonne.

Il vaut mieux commencer par l'eau.

C'est plus simple pour l'incrédule ou le débutant. L'eau est une amie, on pourra facilement la reconnaître. Il faut fermer les yeux, se concentrer et écouter. On percevra le frémissement d’un filament humide, puis un clapotis discret, puis une vague qui gémit, puis un océan qui dort et on finira par entendre le gargouillis que produit au sein du mur la réaction métaphysique entre alcalis et granulats.

On pourra ensuite passer au ciment, en laissant flirter les carbonates de sa boite crânienne avec ceux du mur sur lequel on l'aura appuyée. Des uns aux autres, il n'y a qu'un millimètre, peut-être deux mais pas plus, de capteurs qui papotent les uns avec les autres comme des veuves napolitaines à leur balcon. C'est plus que suffisant pour sentir un picotement, une sensation rugueuse et froide, peut-être même un chatouillement.

Il faut encore patienter.

Petit à petit, le contact se déplacera, la matière parlant à la matière, d’atomes à atomes, d’atome à atome, de particule à particule. L'os s'épaissira, grossira et retrouvera dans le mur sa propre nature, un mur appuyé sur un autre. Une sorte de greffe prendra comme des racines qui sortent du sol et s'enfoncent dans l’air. Les deux matières se nourriront l’une de l'autre et l'idée naîtra comme une graine qui germe.

Viendra alors le concept.

On pensera béton idéal, béton parfait.

Celui dont la conscience se mêle aux adjuvants, superplastifiants, accélérateurs, retardateurs de prise, entraîneurs d'air, agents colloïdaux, dans la pierre et le sang des choses.

Celui qui imprègne les fibres métalliques, synthétiques, minérales ou végétales de chacune des cellules des choses.

Celui dont l'ennemi ontologique est l'ion chlore, celui-là même qui corrode les armatures, fissure le corps et lessive l'âme.

Dès qu'on aura passé cette broutille philosophique, on ne verra plus un mur de la même manière, que ce soit le mur des merveilles, celui des fusillés ou celui d'une pissotière.

On se dira qu'il y a quelque chose là dedans de pas simple qu'on ne saurait résumer au vomis solidifié d'une bétonnière, ni à un tas de parpaings posés les uns sur les autres.

Inévitablement, puisqu'on ne saura pas résister à un peu de logique, on généralisera à toute sorte de mur, qu'il soit en béton, en papier, en bois, en tissu, en pierre de taille, en lauriers roses, en chair, en os ou en ratons laveurs et on doutera d'avoir tout expliqué en disant qu'il suffit de prendre ce produit-ci ou ce produit-là, de les façonner à son idée et de les empiler pour obtenir un mur.


© M.DALMAZZO

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commentaires

M
<br /> Bonjour Elle.<br /> Encore un joli petit texte.Plein de verve et d'esprit. je me demande si je devrais pas t'ouvrir une rubrique à part entière, pour y déposer tes petits objets littéraires. Tu la mérites.<br /> Je regrette déjà d'avoir tari la source de ce blog. Je me demande si je ne devrais pas ajouter quelques textes, ne serait-ce que pour avoir le plaisir de te lire..<br /> <br /> <br />
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E
<br /> qui posa la première pierre,solidement arrimée au sol sur son lit cimenté d'une goutte de fiel, trois litres de rancoeur sur ferraille de haine..? Au début ce n'était point gênant, l'un et l'autre<br /> ayant la souplesse pour enjamber l'écueil qu i se dressait entre eux..<br /> on pouvait encore se parler par dessus,mais des paroles tombaient dedans qui se mélangeant au magma de fiel encore frais le solidifiaient et ajoutaient du volume..<br /> Bien sur,on aurait pu encore le défaire et évacuer les gravas..Quoique, vous avez déjà eu une masse en main pour casser un mur??Des vibrations nées de son âme bléssée montent à votre coeur le<br /> rendant palpitant, semant au passage des fourmillières dans vos bras??<br /> aucun ne voulut ouvrir un tel chantier...<br /> "Chérie...baisse un peu l'abat-jour,nous serons mieux?"<br /> "non,j'ai mal à la tête" repondit elle tournant la tête vers le mur qui partageait le lit en deux..<br /> <br /> <br />
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J
Un texte étonnant et fort. Bravo.
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